la Mobilière

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Made in Tessin

Mercredi, le 2 Octobre 2019

Réduire le Tessin à de simples paysages de carte postale serait injuste. Du festival du film glamour aux start-up high-tech, rencontre avec un canton aux multiples facettes.

Tôt le ma­tin, le train dé­boule du tun­nel. Le tra­jet pour re­joindre le Tes­sin a été rac­courci de 30 mi­nutes, grâce au Go­thard. Les ma­gno­lias, les ca­mé­lias, les for­sy­thias dé­filent. C’est ça le prin­temps au Tes­sin! Le bleu du ciel, du lac Ma­jeur. Telle est l’image de cette «Côte d’Azur» suisse que nous ai­mons tant. Mais connais­sons-nous vrai­ment bien le Tes­sin? 

L’in­no­va­tion, loin des cli­chés

«On a sou­vent ten­dance à sous-es­ti­mer le Tes­sin et à mi­ni­mi­ser son im­por­tance», dé­clare Marco So­lari (72 ans), pré­sident du Lo­carno Fes­ti­val. «Pour­tant, nous sommes bien plus qu’une cu­rio­sité folk­lo­rique!» L’an­cien pré­sident de l’Of­fice du tou­risme du Tes­sin n’est certes pas mé­con­tent que les Suisses al­le­mands ap­pré­cient le can­ton pour la beauté de ses lacs, de ses val­lées et pour son cli­mat. Il re­fuse néan­moins que le Tes­sin soit ré­duit à ces seuls élé­ments et s’agace du sté­réo­type la­tin de la «dolce far­niente». «Beau­coup croient que les Tes­si­nois se sentent tou­jours en va­cances, alors que l’in­no­va­tion oc­cupe une grande place ici.» Une in­no­va­tion dé­sor­mais sti­mu­lée par le tun­nel de base du Go­thard. Exemples d’in­no­va­tion: l’Ins­ti­tut de re­cherche en in­tel­li­gence ar­ti­fi­cielle (ID­SIA), le centre de cal­cul haute per­for­mance du Centre suisse de cal­cul scien­ti­fique (CSCS), le Car­dio­cen­tro (avec l’ins­ti­tut SIRM), l’Uni­ver­sité de la Suisse ita­lienne ou en­core les nou­velles zones in­dus­trielles aux alen­tours de Lu­gano, à Biasca et dans le Men­dri­siotto. 

Ni­co­letta Ca­sa­nova (46 ans), in­gé­nieure tes­si­noise et di­rec­trice gé­né­rale d’une start-up, vit cette in­no­va­tion au plus près. Elle a ren­dez-vous avec Marco So­lari sur la Piazza Grande, qui ac­cueillera dans quelques se­maines le Fes­ti­val du film mon­dia­le­ment cé­lèbre. Culture et Tes­sin, un beau ma­riage! Mais le po­ten­tiel reste 
à ex­ploi­ter. 

Com­plexe de Ca­li­mero

Lu­gano est de­venu une ville où se cô­toient re­cherche, uni­ver­sité, tech­no­lo­gie, foi en l’ave­nir et es­prit d’en­tre­prise. Le centre in­dus­triel de Mi­lan est éga­le­ment à deux pas. Si­ro­tant un café sur la Piazza Grande, les deux Tes­si­nois s’ac­cordent 
à le dire: «Nous jouis­sons là-bas d’une ex­cel­lente ré­pu­ta­tion, grâce à nos ver­tus ty­pi­que­ment suisses.» Se­lon eux, pour évi­ter que le Tes­sin ne se trans­forme en un simple lieu de pas­sage entre le Nord et Mi­lan, il faut ex­ploi­ter ce ter­rain fa­vo­rable. «Tout est là», af­firme Marco So­lari. «Nous de­vons juste nous dé­bar­ras­ser de notre com­plexe de Ca­li­mero, cet éter­nel com­plexe d’in­fé­rio­rité» – ré­fé­rence au pe­tit pous­sin noir avec une co­quille d’œuf sur 
la tête qui, dans le des­sin animé du même nom, se sent tou­jours ou­blié et lésé. 

Ni­co­letta Ca­sa­nova n’éprouve nul­le­ment ce com­plexe. «Dans ma fa­mille, il y a beau­coup de cheffes d’en­tre­prise. Mon ar­rière-grand-mère, déjà, était hô­te­lière.» Sa so­ciété Fem­to­print, si­tuée dans un quar­tier in­dus­triel de Muz­zano, à dix mi­nutes en voi­ture de Lu­gano, em­ploie une dou­zaine de col­la­bo­ra­teurs. C’est la deuxième start-up qu’elle crée avec suc­cès. Après des études de gé­nie ci­vil à l’EPFZ, cette femme d’af­faires a di­rigé deux so­cié­tés à Lu­gano et une à Pa­ris. Elle a aussi tra­vaillé à Mont­réal. Créer une start-up au Tes­sin, n’est-ce pas s’en­ter­rer dans un coin perdu? «Nous fai­sons des af­faires dans le monde en­tier, le lieu est donc se­con­daire.» Outre l’ita­lien, Ni­co­letta Ca­sa­nova parle cou­ram­ment – et quo­ti­dien­ne­ment – al­le­mand, fran­çais et an­glais. 

Un énorme po­ten­tiel

Fem­to­print fa­brique des com­po­sants mi­nia­tures en verre et autre se­lon un pro­cédé basé sur l’im­pres­sion en 3D, le la­ser et le mor­dan­çage. Ces pièces ma­giques équipent par exemple des montres, des ap­pa­reils de la­bo­ra­toire, des mi­cro­ca­thé­ters ou des im­plants, par­tout dans le monde. Et la de­mande ne cesse de croître. Avant la séance pho­tos, les ma­chines ou­vertes sont fer­mées à la hâte. Nombre d’élé­ments ici sont en pleine phase d’éla­bo­ra­tion et stric­te­ment confi­den­tiels. La concur­rence veille au grain et au­rait tôt fait de tout co­pier! 

Le Tes­sin at­tire de nom­breux en­tre­pre­neurs ita­liens, sé­duits par les pro­cé­dures ad­mi­nis­tra­tives beau­coup plus simples, confie Ni­co­letta Ca­sa­nova: «Ils ap­portent une nou­velle dy­na­mique au can­ton, conta­gieuse, re­vi­go­rante et mo­ti­vante!» La Tes­si­noise ob­serve ce que font les en­tre­prises in­ter­na­tio­nales et celles du nord de l’Ita­lie. «Nous aussi pou­vons le faire! Si nous com­bi­nons l’ima­gi­na­tion et la créa­ti­vité du nord de l’Ita­lie avec l’éthique pro­fes­sion­nelle suisse, nous dis­po­se­rons d’un énorme po­ten­tiel.» Il ar­rive que des jeunes à l’es­prit no­va­teur aillent ten­ter leur chance hors du Tes­sin. Mais beau­coup re­viennent, comme Marco So­lari au­tre­fois ou Ni­co­letta Ca­sa­nova au­jour­d’hui: «Le can­ton dé­ploie de réels ef­forts pour faire re­ve­nir les ‹cer­veaux› et sou­te­nir l’éco­no­mie et les start-up.» Les 65 000 fron­ta­liers sont aussi très im­por­tants pour les nou­velles in­dus­tries. «Grâce à eux, je peux trou­ver une main-d’œuvre hau­te­ment qua­li­fiée. Nous cher­chons en ef­fet des pro­fils très spé­ci­fiques, qui n’existent pas tou­jours en Suisse. Le Tes­sin a aussi l’avan­tage d’of­frir une ex­cel­lente qua­lité de vie, ce qui at­tire des col­la­bo­ra­teurs pré­cieux», note Ni­co­letta Ca­sa­nova. 

Outre son côté in­ter­na­tio­nal, le can­ton af­fiche un joli suc­cès éco­no­mique. Lu­gano est la troi­sième place fi­nan­cière de Suisse et le sec­teur in­dus­triel sup­plante dé­sor­mais le tou­risme. «Le reste de la Suisse n’en a pas en­core conscience», dé­clare Ni­co­letta Ca­sa­nova. Se­lon Marco So­lari, les Tes­si­nois eux-mêmes doivent en­core s’ha­bi­tuer à cette nou­velle réa­lité: «Jus­qu’à pré­sent, le Tes­si­nois n’était pas un en­tre­pre­neur. Même en ma­tière de tou­risme, les Suisses al­le­mands ten­daient à do­mi­ner.» La phase d’es­prit en­tre­pre­neu­rial ne fait que com­men­cer.

Un mé­lange qui fait la dif­fé­rence

De­puis long­temps, le Lo­carno Fes­ti­val a ba­layé le com­plexe de Ca­li­mero, si tant est qu’il y en ait eu un. Presque aussi vieux que le ci­néma lui-même, ce fes­ti­val fait par­tie des dix plus grands fes­ti­vals ci­né­ma­to­gra­phiques au monde. Il a su se faire un nom sur la scène in­ter­na­tio­nale comme fes­ti­val de films d’au­teur in­dé­pen­dants. Chaque an­née en août, la Piazza Grande ac­cueille des pro­fes­sion­nels du ci­néma et de la culture ve­nus du monde en­tier. Des po­li­ti­ciens, conseillers fé­dé­raux, ca­pi­taines d’in­dus­trie, ar­tistes et di­plo­mates s’y croisent éga­le­ment. De­puis qu’il en a re­pris la pré­si­dence en 2000, Marco So­lari a réussi à sor­tir le fes­ti­val de la crise. L’évé­ne­ment, doté d’un bud­get de 13 mil­lions de francs, at­tire plus de 160 000 spec­ta­teurs. «Pour chaque franc in­vesti, ce sont trois ou quatre francs qui re­viennent à la ré­gion», pré­cise-t-il afin de sou­li­gner la por­tée éco­no­mique de la ma­ni­fes­ta­tion. 

La re­cette de son suc­cès? «J’ai ap­porté à Lo­carno ma longue ex­pé­rience de Zu­rich. Nous di­ri­geons le fes­ti­val comme une PME zu­ri­choise.» Pour lui, ce suc­cès n’est pas seule­ment dû à une éthique pro­fes­sion­nelle suisse al­le­mande ins­pi­rée de 
la concep­tion zwin­glienne et cal­vi­nienne. La spé­ci­fi­cité cultu­relle de la so­ciété la­tine joue aussi un rôle: «Le Tes­sin a tou­jours su don­ner une chance aux jeunes. Les an­ciens font confiance aux jeunes et leur confient des res­pon­sa­bi­li­tés. En re­tour, 
les jeunes res­pectent les an­ciens, dont ils ap­pré­cient l’ex­pé­rience.» Le droit à l'er­reur a toute sa place, car sans lui, pas d’ini­tia­tive ni de créa­ti­vité!

La Mo­bi­lière jette des ponts

Pour exis­ter, une ma­ni­fes­ta­tion cultu­relle de l’am­pleur du Lo­carno Fes­ti­val a be­soin de sou­tiens pu­blics et pri­vés. La Mo­bi­lière vient de re­joindre le rang des par­te­naires prin­ci­paux (p. 9). «Nous ne sommes pas une ma­ni­fes­ta­tion éli­tiste aux prix d’en­trée exor­bi­tants», re­lève Marco So­lari. Toutes les per­sonnes in­té­res­sées doivent pou­voir as­sis­ter au fes­ti­val. Ainsi, le pass étu­diant va­lable dix jours, Piazza Grande in­cluse, ne coûte que 110 francs. «Cette po­li­tique exige tou­te­fois des par­te­naires ayant la même fibre so­ciale. C’est pour­quoi nous vou­lions nous as­so­cier à la Mo­bi­lière.» Par son en­ga­ge­ment, l’as­su­reur confirme l’im­por­tance du Tes­sin et jette des ponts entre les ré­gions du pays. Marco So­lari se ré­jouit de la sé­rie de dé­bats «Lo­carno Talks La Mo­bi­liare», une ini­tia­tive de la Mo­bi­lière et du fes­ti­val (p. 9). «Ces dé­bats cadrent par­fai­te­ment avec la Mo­bi­lière: agir lo­ca­le­ment, pen­ser glo­ba­le­ment.» Une phi­lo­so­phie qui s’ap­plique aussi à lui-même et à Ni­co­letta Ca­sa­nova.

La nuit com­mence à tom­ber, il est temps de ren­trer. Grâce au tun­nel, al­ler pas­ser une jour­née au Tes­sin en vaut la peine. Le mieux étant de s’y at­tar­der.

Texte: Su­sanne Mau­rer
Photo: Iris Stutz