Benjamin Gapany en plein combat de lutte suisse, concentré et en prise avec son adversaire sous les yeux du juge.
Story

Respect, force et émotions dans la sciure

Le Fribourgeois Benjamin Gapany fait partie des meilleurs lutteurs de Suisse. À la «Fédérale» de Mollis, il vise les premières places. Portrait d’un homme que la force mentale rend résilient. 

Benjamin Gapany dans une étable, souriant avec une fourche à la main et une vache au premier plan – entre force et tradition.

Depuis son enfance, Benjamin Gapany connaît la valeur du travail. À la ferme, jamais de répit. 

Dans la région de Bulle, pays de lutte par excellence, Benjamin Gapany jouit d’une certaine célébrité. Âgé de 30 ans, cet athlète partage sa vie entre la lutte et le travail dans l’exploitation agricole familiale, qu’il reprendra un jour. 

Du kimono à la culotte

Le parcours du lutteur de Marsens a débuté par le judo. «À Bulle, les lutteurs s’entraînaient à côté de nous. Alors, après mes cours de judo, je m’attardais pour les regarder», raconte-t-il. Cette proximité va être primordiale et, à 8 ans, il se met à la lutte qu’il pratiquera en parallèle pendant quelques années. Toutefois, au moment de l’apprentissage d’agriculteur, il faut faire un choix: sans hésitation, c’est la lutte qui l’emporte. L’ambiance au Club des lutteurs de la Gruyère et les premiers succès dans les fêtes de lutte en garçons lutteurs participent aussi à cette décision. Sa carrière est lancée.

Une passion dangereuse

Lors de la finale romande de 2010, le Marsensois est gravement blessé à la nuque. Les cervicales sont touchées et il risque la tétraplégie. C’est un coup de frein brutal à sa carrière. Une intervention chirurgicale est nécessaire et il lui faudra une année pour se rétablir complètement. Une pause qui incite à la réflexion. Benjamin hésite: va-t-il reprendre la lutte? 

Finalement le virus est plus fort que tout. De plus, sa deuxième année d’apprentissage le mène à Soleure, un canton dans lequel la lutte a la cote. Donc, retour dans la sciure. «Je m’y suis remis avec joie et avec des objectifs bien précis. Je voulais revenir au top de ma forme.»

 

Une carrière en plein envol

Mission réussie: Benjamin décroche sa première couronne au printemps 2013! Quand les gros résultats arrivent, vers 19 ans, il passe un cap. Ses performances sont désormais scrutées. Plusieurs titres cantonaux et régionaux s’enchaînent, la liste des couronnes s’allonge.  

Cependant, plusieurs pépins plus ou moins sérieux entrecoupent la carrière du Gruérien. En 2017, il se déchire les ligaments croisés en tout début de saison, ce qui débouche sur une saison blanche. Après plusieurs mois de rééducation, il peut se remettre en selle pour la saison 2018. Benjamin est en pleine forme et récolte de très bons résultats, avec une couronne alpestre ainsi que plusieurs titres cantonaux et régionaux. 

 

«
Malgré les sacrifices, les émotions fortes en valent la peine!
»

Benjamin Gapany

La consécration 

En 2019, les efforts du Marsensois le conduisent vers l’Olympe: il remporte la couronne fédérale à la Fête fédérale de lutte suisse de Zoug. «Je visais déjà la couronne fédérale à Estavayer, car une telle victoire en Suisse romande aurait été savoureuse, mais j’étais trop jeune. À Zoug, j’étais en super forme avec de bons résultats à mon actif. J’avais notamment gagné mon troisième titre cantonal fribourgeois.»

En réalité, ce couronnement était loin d’être évident. Car, à quelques semaines de la Fédérale, le lutteur se blesse lourdement à l’épaule lors de la fête alpestre du Brünig. Sa participation à la Fédérale est même remise en cause. C’est la course contre la montre et, malgré un état physique légèrement affaibli, le rêve de la couronne devient réalité!

Ensuite, à la Fédérale de 2022 à Pratteln, une deuxième couronne fédérale lui échappe de peu en raison d’une blessure à la cheville. «C’était une énorme déception, je n’ai pas pu disputer la dernière passe, bien que le nul m’aurait suffi pour décrocher la couronne.»

La vie hors des ronds de sciure

Comment vit-on quand on est un lutteur de ce niveau? La lutte n’est pas une tradition familiale. Son frère et ses deux sœurs ne luttent pas mais tout le monde le soutient, lui qui est né costaud, donc avec un physique adapté.  

Sa mère, une infirmière québécoise, a toujours été à ses côtés, tandis que son père agriculteur accepte son choix, bien qu'il ressente parfois son absence à la ferme. «Mon père m’a inculqué la valeur du travail, je l’ai toujours vu travailler. Quant à ma mère, c’est ma supportrice numéro un, présente au bord des ronds de sciure depuis le début. Concernant ma compagne, elle a parfois l’impression de vivre avec un fantôme vu mon emploi du temps! Je lui suis reconnaissant ainsi qu’à ma famille de me soutenir dans cette vie. Il faut tout donner pour la lutte même si on n’est jamais sûr du résultat. Malgré les sacrifices, les émotions fortes en valent la peine!»

Les journées sont en effet très chargées, entre le travail à la ferme et huit entraînements hebdomadaires.

Le lutteur Benjamin Gapany donne le biberon à un jeune veau devant la ferme familiale, illustrant son quotidien à la campagne.

En dehors de l’arène, l’athlète de Marsens est dans son élément dans l’exploitation familiale qu’il reprendra un jour. 

«
Tout doit fonctionner, le physique, la technique et le mental.
»

Benjamin Gapany

La force mentale, un élément déterminant

Un lutteur doit bien sûr compter sur son physique. Celui de Benjamin est impressionnant: 126 kilos de muscles pour 189 centimètres. Pour maintenir ce physique, il doit consommer 5500 à 6000 calories par jour, réparties sur six repas. Son petit déjeuner: cinq œufs entiers, trois blancs et des céréales! 

Cependant le physique n’est rien sans la force mentale. «Tout doit fonctionner, le physique, la technique et le mental. Si un maillon est faible, cela se répercute sur le reste. La musique m’apporte la force mentale.» Après avoir fait de la sophrologie, Benjamin utilise la visualisation positive. Des morceaux de musique choisis sont associés à des événements positifs. Il garde son casque jusqu’à dix secondes avant d’entrer sur le rond de sciure. «La musique me met en transe. Pendant la lutte, l’état d’esprit est différent, il faut gagner. Pour moi, la meilleure défense, c’est l’attaque.»

Benjamin Gapany, bras croisés et écouteurs sur les oreilles, se tient concentré sur un muret avec vue sur la campagne fribourgeoise.

La musique, associée à des événements positifs, est source de force mentale pour Benjamin Gapany.

Les belles valeurs de la lutte

Une attaque menée dans le respect de son adversaire bien sûr. Le mot «respect» revient souvent dans la bouche du Marsensois qui aime les valeurs liées à sa discipline: «La lutte, c’est un condensé des valeurs suisses. Les traditions sont importantes pour moi. Et mon sport combine tradition, nature et agriculture, le mélange parfait. Et puis, le respect règne sur et autour du rond.» Effectivement, c’est un sport loyal; après le combat, le vainqueur essuie le dos du vaincu. Et le public vient par amour pour le sport et les traditions.  

Mais existe-t-il en Suisse une «barrière de lutte à la culotte»? Car les rois sont presque toujours alémaniques et les concurrents romands moins nombreux. À Mollis, le prochain grand rendez-vous fédéral, 30 places sont attribuées aux Romands sur 274. Benjamin explique que cela reflète le nombre de lutteurs des deux côtés de la Sarine. Tout simplement. 

Le Gruérien se réjouit de pouvoir, grâce à ses performances, rendre la lutte plus populaire en Suisse romande. Et d’ajouter: «Je suis aussi reconnaissant du soutien des entreprises, comme celui de la Mobilière, partenaire roi de la Fédérale. Les prix que j’ai gagnés au combat sont d’ailleurs assurés à la Mobilière!»

Alors rendez-vous à Mollis fin août pour faire briller la Suisse romande sur le rond de sciure!